


+Cristóbal, Cardinal López Romero, sdb
Archevêque de Rabat
LETTRE AU PEUPLE DE DIEU Nº 24
ELISABETH LAFOURCADE ARRIVE A MIDELT, CE MERCREDI 15 OCTOBRE A 11H
Chers frères et sœurs,
Les restes d’Elisabeth Lafourcade, ont été exhumés à Errachidia, le jeudi 2 octobre dernier, puis transférés, le même jour, au monastère cistercien de Midelt, où ils seront déposés, le 15 octobre prochain, dans un caveau à proximité de celui où repose Albert Peyriguère.
Deux témoins contemporains
Elle avait vécu au Maroc dans la moitié du 20° siècle, contemporaine du P. Albert Peyriguère, décédés à une année d’intervalle. Tous deux avaient mis leur pas dans ceux de Charles de Foucauld, Albert Peyriguère à El Kbab, village de la tribu des Ichkerns, vivant au milieu d’eux et les soignant, à 115 km de Midelt, et Elisabeth Lafourcade, à Errachidia (à l’époque, Ksar-es-Souk, sous protectorat français), chirurgienne renommée, à 140 km de Midelt.
Tous deux ont eu une vie rayonnante, vivant simplement l’Evangile, à travers le soin et une vie de proximité du peuple marocain. Ils sont des témoins de notre Eglise, ayant donné leur vie pour ceux qu’ils servaient, ensemençant cette terre marocaine de leur fraternité.
Aussi, nous avons souhaité, les moines et moi-même, que tous deux, Albert Peyriguère et Elisabeth Lafourcade, soient réunis chez nos frères cisterciens à Midelt, et qu’il continuent à être pour nous des figures de vie évangélique et des signes pour notre propre manière de nous rapprocher du monde marocain et d’être à son service.
Une brève biographie d’Elisabeth
« Ni religieuse, ni mariée, mais une vie inconditionnelle à la suite du Christ !» Elisabeth
Lafourcade est née le 18 septembre 1903 à Moumelon-le-Grand dans la Marne, en France. Elle se sent attirée par la vie du Père de Foucauld, mais elle ne se voit pas religieuse. Elle entreprend donc des études de médecine à Montpellier pour pouvoir servir là où elle partira, ses amis la surnommant affectueusement Zaza. Elle découvre l’Afrique très tôt et se sent appelée à aller vers ces populations pauvres pour les secourir. Ce ne fut pas facile, pour des hommes musulmans, d’avoir à faire à une femme médecin qui, en plus, assistait à la messe tous les matins, revenait encore à l’église l’après-midi et portait une croix au cou. Elle fut pourtant très rapidement reconnue pour ses grandes qualités et finalement estimée et aimée de tous.
Membre de l’Institut séculier Jésus Ouvrier depuis 1927, elle travaillera tout d’abord pendant plus de quinze ans comme chirurgien en Tunisie, puis en Algérie. Enfin, pour des raisons de santé, elle arrive au Maroc à la fin de la 2ème guerre mondiale, tout d’abord en fonction à Fes, puis en 1948 nommée à Errachidia (Ksar Es-Souk) où elle est l’unique chirurgien dans un rayon de 200 kilomètres, et jusqu’à Midelt. C’est là qu’elle passera les dix dernières années de sa vie, soignant sans relâche malgré la pénurie de moyens, les distances et la fatigue.
Quelques mois avant sa mort, alors qu’elle était hospitalisée à la clinique Cornette de Saint-Cyr à Meknès, elle reçut la visite de sa Majesté le Roi Mohammed V, pour lui présenter ses vœux de prompt rétablissement en ces termes : « Portez-vous mieux madame ! Ne partez pas, nous avons encore besoin de vous ». Cette région du sud marocain était devenu son pays. Elle l’exprime ainsi dans sa reconnaissance à Dieu : « Il y a une chose dont je remercie Dieu tous les jours maintenant, c’est d’être au Tafilalet. Je crois que j’ai vraiment trouvé mon pays… »
Elle décède à Errachidia, le 7 janvier 1958, emportée par un cancer. Ses funérailles eurent lieu en présence d’une très grande foule venue des alentours, comme la manifestation de reconnaissance de tout un peuple.. Les témoignages de cette époque nous disent que les moines bénédictins de Toumliline présidaient la liturgie, son cercueil fut porté par ses infirmiers marocains, et que musulmans, israélites et chrétiens se pressaient autour de sa dépouille, toutes les classes sociales se trouvant mêlés, pauvres, riches, officiers, représentants du gouvernement français, et représentants du gouvernement marocain. Le Docteur Faraj, alors Ministre de la Santé, conclut son oraison funèbre avec ces mots « Reposez en paix dans cette terre que vous avez choisie », et déposa, sur le cercueil, au nom du roi Mohammed V, la décoration d’officier du Ouissam Alaouite, distinction marocaine, en hommage à ses mérites et aux services rendus aux marocains.
L’un de ses collègues écrira : « Par son dévouement et par son rayonnement, elle fut aussi témoin de la chrétienté en terre d’islam, non en prêchant l’Evangile, mais en le vivant. » Elle vivait ainsi comme le peuple qu’elle servait, partageait tout et savait se faire proche de chacun. Le docteur Lallu, médecin-chef du territoire du Tafilalet l’évoque d’une autre manière: «Mise à part sa compétence chirurgicale hors pair, elle était tout amour, au sens le plus fort que lui donne la doctrine chrétienne. Tous étaient ses frères, et surtout les humbles qu’elle entourait d’une affection plus particulière…»
C’est la raison pour laquelle, certains l’avait considérée comme une vraie «musulmane», une des leurs.
Dans son milieu de vie, elle voulait être un reflet de la vie et de l’enseignement de Jésus…de l’Evangile. Elle l’exprime ainsi: «Je vis dans un milieu musulman. Je ne suis pas gênée pour tenir mes engagements. Tous ceux qui me connaissaient -et ils sont nombreux- savent que je suis catholique. Ils ne prennent pas ombrage de ma fidélité à ma religion, mais au contraire, ils m’estiment plus. Ils disent: «la Toubiba est droite. Elle sert Dieu. Elle ne connaît que sa maison , son église, son hôpital et ses malades. Mon chauffeur musulman qui me conduit n’est pas surpris de me voir dire mes prières, mon chapelet, assise à côté de lui. Il respecte ma prière et garde le silence…Ainsi, je réalise pleinement ma vocation, par mon témoignage de vie consacrée.»
La responsable de l’Institut Jésus-ouvrier, Blanche Poupineau, écrira ceci après la mort d’Elisabeth: «Elle s’est faite marocaine avec les marocains, berbère avec les berbères. Elle se mettait à leur service avec le tact de l’amour de Dieu, qui, par son Esprit, suggère les paroles qu’il dirait luimême à ses préférés, les pauvres, les malades: tout naturellement elle les traitait avec une compréhension respectueuse de leurs coutumes, leurs traditions, leur religion. En plus, pour mieux les élever au-dessus de leurs souffrances, elle avait lu le Coran. Elle était capable de leur citer des textes qui les rapprochaient de Dieu».
Cette vie fait écho à l’Exhortation apostolique du pape Léon XIV, Dilexi Te (Je t’ai aimé) sur l’amour envers les pauvres, rendue officielle précisément en ce jour.
Une action de grâce en Eglise
Je présiderai une célébration officielle d’accueil du corps d’Elisabeth Lafourcade et une liturgie d’action de grâce, ce mercredi 15 octobre à 11h, au monastère de Notre-Dame de l’Atlas, en la fête de sainte Thérèse d’Avila. A l’issue de la célébration, le nouveau cercueil, contenant sa dépouille, sera déposé dans le caveau de la chapelle qui lui est dédiée.
Que ceux qui le souhaitent et le peuvent nous rejoignent. Mais que tous, nous ayons une prière d’action de grâce à son intention. Elisabeth a servi notre Eglise en servant le monde marocain. Aujourd’hui, mettant ensemble en oeuvre les Orientations pastorales de notre diocèse, nous pourrions dire qu’elle a été, avant l’heure, un exemple de cette Eglise samaritaine que nous appelons de nos vœux, «qui prend soin, accueille, écoute et accompagne».
J’oserai lui dire: «Elisabeth, prie pour nous, prie pour le peuple marocain dont la jeunesse réclame plus d’attention et d’engagements de l’Etat en direction de la santé et de l’éducation, et prie pour notre Eglise, qui cherche, comme toi l’a fait, à entrer en dialogue et en amitié avec nos frères et sœurs musulmans, en chemin, comme nous, vers le Royaume de Dieu».
Rabat le 9 octobre 2025