ORIGINALE SOLIDARITÉ À FÈS

A la gare de Fès, père Matteo m’attendait depuis quelques minutes. Ainsi, arrivé, sans détour il m’entraîne dans une nouvelle aventure : le quartier Al Irak. On repart…

Ce quartier, bien que pauvre et densément peuplé, n’est pas misérable, avec des bâtiments plutôt vétustes. C’est là que je rencontre Willy, un Africain entreprenant, chargé de préparer plus d’une cinquantaine de petits déjeuners chauds à l’africaine pour les migrants subsahariens. Plus tard, dans une autre partie du quartier, Daniel et Monique préparent le repas pour ceux qui viendront en milieu d’après-midi. Une cinquantaine ou plus encore de repas chauds à emporter seront disponibles pour les migrants à leur retour du “travail”. Une énorme marmite noircie, remplie de poulet, de carottes et de pommes de terre, mijote depuis longtemps à feu doux… Pour ces subsahariens, c’est une véritable providence! Leur “travail” consiste en réalité à endurer le froid pendant des heures aux feux rouges, dans l’espoir d’une éventuelle aumône. Travail de résistance et de patience. Il n’est pas nécessaire, alors, de se rendre à la paroisse pour se nourrir, ce qui est compliqué en raison des contrôles policiers des sans-papiers.

Daniel me montre la longue liste des personnes prises en charge, ainsi que leurs nationalités : Guinée, Mali, Libéria… C’est là le visage d’une Église samaritaine et de ses membres : soutenir et prendre soin des plus démunis dans leur propre habitat. À la paroisse Saint François, où père Matteo est curé, je rencontre Aïcha, sénégalaise, musulmane et ancienne étudiante en droit à l’Université. Brillante, communicative et dynamique, elle s’implique également dans la réalité migratoire. Toujours collée à son téléphone, elle répond sans cesse aux appels, aux messages et aux urgences. Fournir, ainsi, des couvertures, des vêtements, de la nourriture, des médicaments, voire une hospitalisation, avec une réponse concrète, efficace dans les 24 heures: quelle efficacité! “Pour moi, servir ceux qui sont dans le besoin c’est comme être au service de Dieu”, vous déclare-t-elle, ouvertement.

On m’emmène ensuite faire un “maraude”: c’est une visite à pied aux points névralgiques de la ville fréquentés par les migrants, notamment aux feux. Des petits groupes de cinq/six Maliens, puis un clan de Camerounais, d’autres encore dispersés s’étalent dans notre parcours… Ils attendent. Lorsque le feu passe au rouge, ils passent rapidement en revue toutes les voitures, une fenêtre s’abaisse, un espoir s’allume…

Exposés pendant des heures à un froid de canard qui pénètre leurs os, la journée leur rapporte entre quarante et cinquante dirhams. Une victoire. D’autres, plus courageux, – les “balayeurs”- munis d’un long balai, parcourent les trottoirs ou les entrées des immeubles et ramassent quelques dirhams jetés par des fenêtres. C’est une reconnaissance discrète pour leur bonne volonté, dans ce service d’utilité publique. Après, avec Aisha et d’autres volontaires comme Sheila du Kenya et Charles du Burkina, nous arrivons près du Café Nation, appelé “Café des clochards”, triste lieu de rencontre des migrants. On y transporte deux énormes conteneurs de repas. Le riz très chaud se révèle ici providentiel! Même indispensable. Pour des migrants qui affronteront une nuit glaciale sur des cartons sous un porche ouvert aux quatre vents. Ce sont les “migrants des rues”. Sans abri, sans bagages, ils n’ont que leurs jambes pour marcher. Certains, d’autre part, sont là depuis plusieurs mois.

L’après-midi, un groupe de femmes et d’enfants subsahariens arrive à la paroisse, comme chaque semaine. Près d’une cinquantaine de kits d’hygiène (couches, shampoing…) sont, alors, distribués. Ils sont aussi nécessaires que le pain ! “Simplement leur sourire me suffit, plus qu’un merci !” vous glissera Aïcha.

Le dimanche, malgré un froid intense de deux degrés et l’absence de chauffage, les portes de l’église sont grandes ouvertes. Des dizaines de jeunes hommes subsahariens, bien enveloppés, affluent. En peu de temps, l’église Saint-François est presque remplie : quelques Européens, environ cinq cents universitaires africains. Ils viennent d’un autre monde, ils vivent ici depuis des années, avec toutes les fragilités des étudiants étrangers chrétiens parmi des musulmans. “L’école, c’est l’amour pour l’avenir”, répétait un célèbre pédagogue, Don Milani. Et eux, ils préparent l’avenir de leurs nations, en tant que, inchallah!, dirigeants de demain. C’est une autre réalité que la paroisse soutient, accompagne et anime. Le Père Matteo s’y investit avec passion, les jeunes répondent avec enthousiasme. Ils forment une chorale puissante, qui fait trembler les murs de l’église et l’esprit des fidèles. Ils participent également à diverses initiatives paroissiales telles qu’une crèche bien originale par Arnaud, étudiant en architecture, ou des actions de solidarité comme donner leurs vêtements, organiser des collectes, animer des fêtes communautaires. Mais oui, “les expériences agréables rendent la vie agréable, les expériences douloureuses la font grandir” écrit De Mello. Les paroissiens d’ici connaissent les deux.

Régulièrement, enfin, père Matteo visite les prisons : voilà une présence qui réconforte, guérit les blessures intérieures et soutient des grandes solitudes. Ainsi, en regardant la gamme de la solidarité fassi 2023 dans toutes ses couleurs, il semble d’entendre les paroles d’un autre Matteo (Matthieu): “J’étais étranger, malade, prisonnier… et tu m’as aimé !” Elhamdulllilah !

Renato Zilio