PREMIERE RELECTURE À L’APPROCHE DE LA FIN DE LA 2E ASSEMBLÉE SYNODALE DU« SYNODE SUR LA SYNODALITÉ »

PREMIERE RELECTURE À L’APPROCHE DE LA FIN DE LA 2E ASSEMBLÉE SYNODALE DU « SYNODE SUR LA SYNODALITÉ »

J’écris ce vendredi 25 octobre pendant que les rédacteurs sont en train de s’arracher les cheveux pour intégrer (ou non) nos mille amendements au projet de rapport final qui nous a été présenté lundi dernier. Ils avaient fait un travail absolument remarquable, mais qu’il nous appartenait de retravailler encore, et qui fera peut-être apparaître en quoi l’assemblée a bougé depuis le début du synode (octobre 2021) et de cette assemblée, ce qui fait consensus, ce que d’aucuns se sont employés dans leurs amendements de cette semaine à mieux fonder, parfois aussi à édulcorer, mais surtout à essayer de préciser davantage là où les rédacteurs sont restés dans l’énoncé prudent de principes généreux autant que généraux.

Dans la nouvelle rédaction, mais aussi dans le vote ou le rejet de tel ou tel paragraphe, la tonalité du texte qui sera adopté demain soir (et publié en version officielle en langues autres que l’italien dans plusieurs semaines) est en fait encore inconnue !

 

Petit rappel d’abord :

Il y a eu en moyenne un Concile œcuménique (une assemblée de tous les évêques catholiques du monde) par siècle. Le dernier concile, dit « Concile Vatican II » s’est réuni en quatre sessions (de deux à trois mois) de 1962 à 1965.

 

Entre-temps (depuis Vatican II), il y a en principe tous les deux ans (en réalité tous les 4 ans) un Synode des évêques avec une assemblée d’un mois sur un sujet limité, et un nombre limité d’évêques (250 environ sur 5000 évêques dans le monde actuellement).

 

Au quotidien, les liens entre les Eglises locales (diocèses) et l’Eglise universelle sont gérés par la Curie romaine (les Dicastères) et les visites ad limina (visite de tous les évêques d’une même conférence épiscopale au pape et ses conseils, initialement tous les 4-5 ans, actuellement tous les neuf ans).

 

Ce XVIe Synode des Evêques a déjà fait émerger quatre premières nouveautés, grâce à une équipe qui a remarquablement travaillé :

 

La présence de non-évêques dans le Synode des évêques (350 membres au lieu de 250). Un concile qui ne dit pas son nom, dit le théologien Christoph Théobald. Ça reste le Synode des évêques (ils sont majoritaires), mais il parait nécessaire -et pas seulement heureux- que soient présents d’autres personnes : est-ce que cela va perdurer ? voudra-t-on refaire des synodes entre évêques seulement ?

 

Une plus forte présence des délégués des autres confessions chrétiennes (16 représentants des autres Eglises avec droit de parole mais pas de vote), avec la perception que réfléchir tout seuls entre catholiques, c’est risquer de creuser l’écart entre Eglises : va-t-on le faire au niveau des Eglises locales ? chaque Eglise prendra-t-elle conscience qu’elle ne peut prendre de grande décision sans débattre avec les autres, pour ne pas déchirer davantage encore la tunique du Christ ? Les catholiques sauront-ils faire droit au fait que Rome est un lieu-source qui appartient à toutes les confessions chrétiennes, et trouvera-t-on une manière de le signifier ?

 

L’utilisation d’une méthode, celle de la conversation dans l’Esprit (pour dé-polariser les débats, permettre l’écoute des autres et de l’Esprit) : va-t-on entériner cette méthode, partout ou dans quels cas ? Quelles autres méthodes apparaissent fructueuses pour progresser en synodalité ?

 

L’introduction d’un niveau intermédiaire supplémentaire dans l’Eglise, celui des continents : va-t-on continuer en institutionnalisant la structure, en lui donnant quelles attributions ? comment cela va se concilier avec d’autres formes d’agrégations ou assemblées ecclésiales (méditerranéenne, du bassin du Congo ou de l’Amazonie, …) ?

 

Nous voilà donc munis de ces quatre nouveautés

 

Et dans les prochains jours d’un texte : le rapport final de la 2e assemblée, dont nous ne savons pas encore s’il sera une aide pour la rédaction par le Pape d’un autre texte, une Exhortation apostolique sur la Synodalité, comme cela se fait d’habitude, ou bien si le pape va simplement valider, prendre à son compte, signer lui aussi ce texte, ce qui serait un événement ! En lui ajoutant éventuellement une préface ou une post-face.

 

Ce texte, qu’apportera-t-il ?

Il n’apportera sans doute pas satisfaction à ceux qui attendaient la victoire d’un clan sur un autre, ou des décisions ou gestes symboliques frappants :

 

Il sera peut-être décevant : pour ceux qui attendaient que l’Eglise adopte la théorie du genre ; instaure la communion sur la langue pour tous ; décide l’ordination d’hommes mariés, de femmes diacres, le retour à la messe en latin, la suppression des titres (éminences, excellence, monseigneur, …) ou de l’instrumentalisation du sacrement de l’ordre avec l’ordination d’évêques sans diocèse ; institue que les membres des conseils paroissiaux ou diocésains soient élus et non nommés ; rende à nouveau la soutane, le col romain ou le voile des religieuses obligatoires, … (je vous cite bien sûr toutes les propositions que j’avais préparées et qui ont été rejetées !).

 

Il sera peut-être rassurant : pour ceux qui craignaient qu’on accorde trop de prérogatives aux conférences épiscopales au détriment de l’autonomie de chaque évêque ou du pouvoir de la Curie ; ou qu’on n’alourdisse trop les choses en demandant tant d’audits, redditions de compte, rapports et évaluations au point que notre Eglise devienne plus bureaucratique que synodale, …

Mais est-on resté pour autant dans un prudent statu quo ?

Il me semble qu’au moins deux points apparaissent déjà clairement :

 

La synodalité tient d’abord à une conversion de chacun (chrétien de base autant qu’évêque), une conviction qu’il ne s’agit pas d’une mode, d’une adaptation à l’air du temps, mais bien d’un défi évangélique : Voyez comme ils s’aiment, c’est bien sûr aussi « voyez comme ils fonctionnent entre eux » !

 

On ne peut jamais isoler conversion personnelle, explicitations dans des textes et changements dans les structures. Négliger l’un des trois ne peut pas conduire à une avancée de l’Eglise, y compris -pour ne pas dire d’abord- en ce qui concerne la synodalité.

 

Pour les participants, à titre personnel, c’est évidemment une expérience extraordinaire, à des niveaux très divers :

Nous tutoyons autour de nos tables ou aux pauses des personnes du monde entier, qu’on écoute et qui nous écoutent, (évêques, cardinaux, laïcs, religieuses, …), avec qui on parle toutes les langues, qui voient les choses d’un tout autre point de vue que nous, …

 

C’est un temps de formation extraordinaire, d’élargissement des horizons, d’approche renouvelée de questions théologiques, spirituelles, ecclésiologiques aussi bien que géopolitiques. Un temps aussi de témoignage d’une humanité engagée dans le dialogue des différences, quand il y a en même temps russes et ukrainiens, catholiques et autres confessions chrétiennes, israéliens et libanais ou palestiniens, qui se parlent, s’écoutent, entendent quelque chose de nouveau de l’autre.

 

Ça représente un argent fou : 91€ de pension par jour et par personne dans le lieu où je suis hébergé, soit 2.730 pour le mois ; les billets d’avion ; les bus pour transporter chaque jour tout ce monde ; le staff pour traduire, servir, rédiger, nettoyer, … ; le matériel technique ; la préparation au long de ces années par le Conseil des membres du Synode, le Secrétariat Général, les assemblées continentales et leurs rencontres de préparation, … un total de plusieurs millions d’euros certainement.

Certains paient billets, pension, etc ; d’autres sont pris en charge. Il y a aussi de nombreux donateurs, petits ou gros, ou très gros (tables du Synode, tout le matériel informatique, …), la plupart du temps anonymes.

 

Nous sommes dans une ville extraordinaire où on croise la grande histoire à chaque angle de rue, avec des trésors d’art et d’architecture. Une ville avec d’énormes travaux en cours pour accueillir tous les pèlerins du Jubilé.

Retentit d’une manière ou d’une autre en nous et dans aula ce qui se passe « à l’extérieur »:  événements du monde (guerre au Moyen-Orient et ailleurs, actions terroristes au Burkina, …) ; événements d’Eglise (le traumatisme récent autour de Fiducia Supplicans, l’annonce de la nomination autocratique de 21 cardinaux, la parution de l’encyclique Dilexit nos, …) ; événements dans le diocèse de chacun ; abondance de documents déposés dans nos boites aux lettres ; invitations multiples pour des soirées ou rencontres qui sont autant des occasions d’éclairage intéressant que des moyens de promotion ou de pression, …

 

Les échanges pendant les pauses ou les déplacements, à table dans les lieux d’hébergement, ou bien dans quelques lieux autres (entre compatriotes, chez les Frères de Taizé, ou ailleurs) peuvent être de bons lieux de debriefing, exutoire ou recentrage.

Une expérience parfois de souffrance aussi quand, sortis de l’aula, de retour sur les lieux d’hébergement, attentions et précautions se relâchent et surviennent des attitudes blessantes, au risque de détricoter le soir ce qu’on a essayé de tricoter durant la journée. Ou quand nous prend le vertige parce que la distance est trop grande avec notre vie habituelle (ce que nous mangeons, buvons, consommons, comme nous sommes logés, privilégiés), au point que nous aurions honte si notre peuple nous voyait. Quand nous peinons à nous dire les uns aux autres la vérité (la beauté ou les difficultés) de ce que vivent les frères et sœurs des lieux d’où nous venons, ou de ce que nous vivons nous-même, ou quand nous réalisons que nous n’avons pas vraiment écouté les autres. Sommes-nous à la hauteur de l’aventure qui nous était proposée, de ses enjeux pour nous-même et pour l’Eglise tout entière ? Tout cela -nos propres limites- nous travaille aussi.

 

Chacun s’interroge aussi sur la manière dont il va pouvoir partager l’expérience vécue au synode : pas seulement la raconter, mais aider à la faire expérimenter, à la mettre en œuvre.

 

Ce synode est donc un magnifique événement d’Eglise, mais il ne fait vraiment que commencer !

 

Ce texte sera déjà en partie périmé demain soir, après l’adoption du document final par l’assemblée synodale. Excusez-moi donc d’avoir été si long pour un document si provisoire !

 

Père Michel Guillaud, administrateur diocésain de Constantine-Hyppone et secrétaire général de la CERNA.