
+Cristóbal, Cardinal López Romero, sdb
Archevêque de Rabat
LETTRE AU PEUPLE DE DIEU Nº 17

Charles de Foucauld, un saint évangélique
Chers Frères et Soeurs du diocèse de Rabat,
Dimanche prochain, le 15 mai, le pape François déclarera saint, Charles de Foucauld, en même temps que 8 autres bienheureux. À l’occasion, frère Emilio Rocha Grande, ofm (administrateur apostolique de Tanger) et moi-même, ensemble nous vous adressons cette lettre pastorale qui veut vous motiver et vous encourager pour vivre cet événement en profondeur et avec une forte dimension spirituelle. Une version traduite à l’espagnol et adaptée au diocèse de Tanger, sera envoyée aussi, signée par tous les deux, au diocèse du nord.
Lisons-la, méditons-la, tirons des conclusions pour notre vie chrétienne au Maroc.
- Qu’a été cet homme ?
Réjouissons-nous avec toute l’Eglise : elle nous propose de contempler l’itinéraire spirituel d’un homme qui, à travers les méandres de sa vie, ses recherches, ses insatisfactions, et après avoir retrouvé la foi à 28 ans, ne cessera de se mettre à la suite de son « bien-aimé frère et Seigneur Jésus », comme il l’appelait, souhaitant l’imiter, le faire connaître, le faire aimer. Ses « entretiens familiers » avec Jésus il les a notés, ils expriment comment cette relation avec Jésus l’a bousculé, transformé.
« …Je ne suis pas ici pour convertir les touaregs, mais pour essayer de les comprendre ».
La manière dont cet homme a vécu avec les Touaregs de Tamanrasset, les 11 dernières années de sa vie, après avoir été ordonné prêtre, se voulant être comme un un ouvrier évangélique au milieu du peuple musulman dont il s’est approché, étudiant leur culture, apprenant leur langue, entrant en conversation, témoignant par la bonté et la douceur, cette manière n’est pas étrangère à ce que nous cherchons à vivre dans nos diocèses d’Afrique du Nord, nous approchant de nos frères et sœurs musulmans, vivant nous aussi au milieu d’eux, après l’expérience unique vécue par Charles de Foucauld, il y a 100 ans. Il était poussé à rejoindre d’abord ceux qui, à ses yeux, sont les « plus délaissés » spirituellement, ceux qui n’ont jamais entendu parler de l’Evangile, tous ceux qui sont les « frères de Jésus qui l’ignorent », comme il le dit.
Et nous, quelles sont nos manières à nous, quel est le témoignage que nous donnons ? Comment pouvons-nous annoncer l’Evangile ? Ce questionnement devra alimenter nos réflexions en Synode pour ouvrir des chemins de présence et d’accueil pour aujourd’hui. « …C’est en aimant les humains qu’on apprend à aimer Dieu »
Charles de Foucauld, certains se sont exprimés en disant de lui : «admirable, mais inimitable ! » Et pourtant, il a emprunté les sillons de l’Evangile, pas à pas, comprenant « qu’il entre dans la vocation de crier l’Evangile sur les toits, non par les paroles, mais par sa vie ». Il précisait : « Les personnes éloignées de Jésus doivent sans livres et sans parole, connaître l’Evangile par la vue de ma vie…En me voyant on doit voire ce qu’est Jésus ». Revenir à l’Evangile, l’aura finalement conduit vers ceux qu’il reconnaissait comme les plus délaissés de l’amour de Dieu, touché par cette parole de Jésus dans la parabole de Matthieu 25, qui aura le plus « transformé » sa vie: « Tout ce que vous faites à un de ces petits, c’est à moi que vous le faites».
Et nous-mêmes, y-a-t-il une parole de l’Evangile qui nous impressionne, qui a déjà eu cette capacité à nous laisser transformer ? Souvenons-en au quotidien, ou cherchons, creusons, pour qu’une parole de l’Evangile éclaire notre vie et nous apprenne à servir les pauvres de notre monde, les plus délaissés. Frère Charles avait compris qu’il fallait être aussi attentif à la présence de Jésus dans le pauvre qu’à sa présence dans l’Eucharistie. Cette prédilection de Dieu pour les pauvres, les derniers, l’entraîne à mener une vie qui soit marquée par l’accueil, la disponibilité, le partage fraternel avec les plus démunis. Plus il s’approcha du Dieu qui s’était révélé à lui en Jésus, plus il avança aussi à la rencontre de toute personne, de chaque personne, la traitant, l’aimant comme un frère, une sœur, la considérant avant tout pour elle-même, indépendamment de tout projet que l’on pourrait avoir à son égard. Et pour lui, c’est en aimant les humains qu’on apprend à aimer Dieu.
Il aura été victime, malgré lui, de conflits d’intérêts dans la tourmente de la guerre de 1914-1918, qui aura ses répercutions jusque dans le sud saharien en Algérie. Il sera tué à l’âge de 58 ans.
…une découverte impressionnée de l’Islam au Maroc
Au début de sa vie adulte, âgé de 25 ans, après avoir quitté l’armée et avant de redevenir croyant, Charles de Foucauld fit un voyage d’exploration de onze mois à travers le Maroc, faisant un immense travail de relevés topographiques qui lui valurent à son retour en France le 1° prix de géographie. Cette expérience imprégnera toute sa vie. La vue des musulmans en prière l’impressionna si fortement, qu’au moment de devenir prêtre en 1911, il souhaita revenir vivre au Maroc pour leur témoigner de son « bien-aimé frère et Seigneur Jésus ». La situation politique de l’époque l’obligea à rester en Algérie, d’abord à BéniAbbès, proche de la frontière, puis dans le sud à Tamanrasset, jusqu’à sa mort, comme déjà évoqué plus haut.
Aussi l’Eglise du Maroc, souhaite marquer cet évènement de la canonisation et faire découvrir aux chrétiens et aux amis musulmans la figure spirituelle de celui qui se voulait être le frère universel et qui imprègne déjà un petit peu la vie pastorale dans ce pays

- Comment célébrer cet évènement dans nos diocèses du Maroc ?
Depuis plusieurs mois, une équipe de coordination s’est constituée, pour nous aider tous, du nord au sud, de l’est à l’ouest, à découvrir ou à redécouvrir cette figure de vie évangélique parvenue à la sainteté. Il y a eu des articles pour apprendre à connaître Charles de Foucauld sur le site du diocèse, 3 retraites en ligne qui ont eu un énorme succès (2 fois au moment de l’Avent, une fois en la fête du Cœur de Jésus), des méditations hebdomadaires sur Whatsapp, partant d’un passage de l’Evangile, accompagné d’un commentaire ou d’une réflexion spirituelle de Charles de Foucauld, un dossier dans la revue Ensemble (N°160 – Juin 2021)… déjà de quoi nous plonger dans la spiritualité de ce saint hors du commun. D’autres évènements vont suivre.
La canonisation à Rome, ce dimanche 15 mai
Une délégation officielle de 8 personnes, conduite par l’Administrateur de Tanger, le P. Emilio et moi-même, se rendra à Rome du 13 au 16 mai pour participer aux évènements de la canonisation (Veillée de prière le samedi à 21h, conférences et spectacle sur Charles de Foucauld, la canonisation place St. Pierre présidée par le pape François, le dimanche à 10h, et une eucharistie d’action de grâce en la basilique St. Jean de Latran, le lundi à 10h). S’ajouteront douze autres personnes qui souhaitaient vivre l’évènement sur place. C’est donc une vingtaine de personnes qui représentera nos deux diocèses de Rabat et de Tanger. Probablement que les réseaux sociaux retransmettront l’évènement.
Deux dimanches d’action de grâce suivront au Maroc
Le 22 mai à la cathédrale de Tanger et le 29 mai à la cathédrale de Rabat, nous rendrons grâce de ce que l’Esprit a fait en cet homme, à travers sa vie « exposée et donnée ».
J’encourage toutes les paroisses à envoyer, dans la mesure du possible, une délégation pour la célébration que je présiderais en la cathédrale de Rabat le dimanche
29 mai à 11h et j’encourage aussi des jeunes à y participer.
Une Petite sœur de Jésus d’Espagne, Maria de Jesus, nous donnera son témoignage en début d’après-midi, après un piquenique offert à Notre-Dame de la Paix.
L’équipe de coordination fera parvenir aux paroisses, d’ici peu, affiche et invitation avec le programme précis. Il s’agit d’une action de grâce pour et avec tout le diocèse. Une nouvelle occasion de nous réunir dans la dynamique du Synode autour de cette nouvelle figure de vie évangélique.
Une animation dans les paroisses du diocèse de fin mai 2022 à fin janvier 2023.
L’équipe de coordination propose un week-end d’animation dans toutes les paroisses du diocèse, à tour de rôle, dimanche après dimanche, à l’exception des deux mois d’été et de l’une ou l’autre fête liturgique (Pentecôte, Noël…).
L’animation se fera tout d’abord dans les paroisses sur le tracé du circuit effectué par Charles de Foucauld lors de son exploration du Maroc. Puis suivra l’animation dans les autres paroisses, aucune ne sera oubliée.
Il vous sera proposé le samedi après-midi d’effectuer un « pèlerinage » sur les traces de Charles de Foucauld et le dimanche une célébration eucharistique d’action de grâce. Si la paroisse préfère organiser le tout le dimanche, à elle de décider de ce qui convient le mieux pastoralement.
L’essentiel est de participer et d’accueillir cette proposition. Si celle d’organiser une marche-pèlerinage semble trop compliquée, il est aussi possible d’organiser une veillée de prière ou de visionner ensemble un film. Quelle que soit la forme, une grille composée d’extraits de la Parole de Dieu, de méditations et commentaires de Charles de Foucauld et de quelques questions, aidera aux échanges entre les personnes. Les curés de paroisses et autres prêtres ont déjà été sensibilisés à cette démarche, et en son temps ils recevront des livrets d’animation pour les fidèles et des outils pour la célébration.
Les symboles qui seront transmis de paroisse en paroisse et à mettre en valeur, sont les suivants :
- une icône peinte par un ami musulman des moines de Midelt, Abdelkader Alioui, à partir de celle, originelle, de Petite sœur Maria Carla (Petite sœur de Jésus) qui vivait au Caire, représentant Charles de Foucauld qui désigne le Christ, lui-même tenant l’épaule de Charles de Foucauld.
- une exposition de 14 panneaux réalisée par le diocèse de Ghardaïa en Algérie.
Vous aurez toujours la possibilité de vous faire aider par l’équipe de coordination en fonction de sa disponibilité.
- Un envoi au service de la Fraternité.
Deux figures spirituelles aideront dorénavant les communautés chrétiennes du diocèse, actuellement en marche pour le Synode, à relever le défi de la Fraternité: François d’Assise et Charles de Foucauld. Chacun en son temps, aura misé sur cette valeur évangélique porteuse de fruits et de promesse de paix entre les communautés, entre les peuples, entre les cultures, entre les croyants des différentes religions qui convergent vers le Dieu unique et vrai.
Le pape François nous aura aussi encouragé, avec l’Imam d’al-Azhar au Caire, Ahmad al-Tayyeb, à viser la Fraternité humaine en vue de la paix mondiale et de la coexistence commune (texte du 4 février 2019), texte à reprendre souvent dans nos échanges en paroisse : « La foi amène le croyant à voir dans l’autre un frère à soutenir et à aimer. » Cet avant-propos rejoint la manière dont Charles de Foucauld a envisagé cette Fraternité large et ouverte : « Je veux habituer les habitants, chrétiens, musulmans, juifs…à me regarder comme leur frère, le frère universel ». Il en encourage à laisser couler cette source de vie en nous : « Ayez au fond de l’âme gravé profondément ce principe d’où tout découle : que tous les hommes sont vraiment, véritablement frère en Dieu, leur Père commun, et qu’ils se regardent, s’aiment, se traitent, en tout comme les frères les plus tendres ».
Charles de Foucauld souhaitait donc, à partir d’un comportement fait de bonté et de paix envers les autres, que tous, quelles que soient leur identité et leurs convictions, puissent en arriver à le regarder, lui, comme un frère. Peu de temps avant sa mort, il précisera cela dans une lettre : « Il faut nous faire accepter des musulmans, devenir pour eux l’ami sûr à qui on va quand on est dans le doute ou la peine… ».
Et ce que dit Foucauld à propos de sa façon d’être avec les musulmans, il nous faut l’exprimer par rapport à tous, à tous ceux qui nous sont des « autres », des étrangers par leur foi religieuse ou leur conviction. Qu’en nous rencontrant, l’autre sache qu’il peut réellement compter sur nous : l’autre marocain, européen, étudiants et migrants subsahariens, l’autre pauvre et fragilisé, l’autre croyant autrement, l’autre en recherche de paix et de fraternité. Programme simple et quotidien, programme porteur de joie et de paix qui annonce le Royaume de Dieu dans ce monde qui est le nôtre, dans ce Maroc qui est aussi notre pays puisque nous y vivons.
Relevons ce défi qui résonne aussi comme un envoi au cœur de notre Synode. Vivons cela, ensemble, ici au Maroc, ce sera la manière la plus lumineuse de vivre l’Evangile, de mener ensemble notre suite du Christ, lui le bon Berger, lui le Ressuscité de Pâques qui nous envoie !
Oui, sentons-nous envoyés au monde pour y être des artisans de paix et de fraternité. Que par l’intercession de saint Charles de Foucauld, Dieu très bon et ami de tous, nous bénisse, bénisse ce pays et tous ceux qui y vivent. Et notre humanité grandira, et notre fraternité fleurira !