
+Cristóbal, Cardinal López Romero, sdb
Archevêque de Rabat
LETTRE AU PEUPLE DE DIEU Nº 10
Mes chers frères et sœurs,
Recevez mes salutations fraternelles du plus profond de mon coeur.
Vous écrire cette lettre m’a beaucoup coûté… Je ne savais pas comment et par où commencer… tant il y a eu d’événements dans la vie du diocèse et dans ma propre vie pendant ces derniers mois… !
1.-UN CARDINAL DANS NOTRE ÉGLISE
Finalement, j’ai décidé de commencer pour ce qui a bouleversé ma vie pendant les mois de septembre et d’octobre. Vous le savez déjà : ce dimanche 1er septembre, où le Pape est resté bloqué dans l’ascenseur pendant plus de 20 minutes, il a eu l’idée de nommer de nouveaux cardinaux, dont moi.
Vous savez déjà que je ne m’attendais absolument pas à cela. Quinze jours avant j’avais fait réimprimer 500 exemplaires de ma carte de visite en tant qu’archevêque !!! Et je n’ai appris la « bonne » nouvelle qu’après beaucoup de gens qui l’avaient écoutée directement pendant l’Angelus sur la place Saint Pierre ou à la télévision.
Quel sens a cette nomination ? Évidemment il ne s’agit pas d’un prix ou de la reconnaissance d’une trajectoire personnelle, comme c’est le cas pour d’autres nouveaux cardinaux. L’interprétation ou lecture que je fais de cette nomination est la suivante :
– Le Pape a voulu nous confirmer dans la foi (ce qui est sa tâche !) en reconnaissant le parcours des Églises du Nord de l’Afrique notamment celui du Maroc. Ce faisant, il a rendu visibles des Églises qui étaient presqu’invisibles, et les a données comme sujets de considération à l’Église universelle. Peut-être nous, dans notre petitesse, avons-nous quelque chose à dire et à partager avec les vieilles Églises d’Europe et avec les Églises nouvelles des autres continents !!!
– Le Pape, qui a visité ces Eglises, en leur apportant son message, veut se mettre aussi à l’écoute, en prenant l’un de leurs évêques comme conseiller.
– Le Pape François a voulu encourager et renforcer le travail de l’Église dans le dialogue islamo-chrétien, nous y engageant particulièrement.
– Il fait de même pour le travail avec les personnes en situation de migration.
– Finalement, ma nomination par François est aussi un clin d’oeil à Sa Majesté le Roi et au peuple marocain, comme s’il leur disait : « Merci pour l’accueil dont vous m’avez gratifié. Merci pour le travail que vous faites pour diffuser un islam modéré, ouvert et serein. Merci pour votre hospitalité… »
Peut-être le fait d’avoir un cardinal nous donnera plus de possibilités pour établir ou renforcer les relations avec les autorités, avec le peuple marocain et ses associations, ainsi que pour réaliser notre but, qui est toujours celui d’annoncer et de construire le Royaume de Dieu : « Cherchez premièrement le Royaume de Dieu et sa justice… » (Mt 6, 33)
Au-delà des lectures ou des interprétations que nous pouvons en faire, la réalité est que, dès maintenant, je devrai avoir le souci, d’une manière plus forte, de l’Église universelle et aussi être plus disponible pour ce que le Pape pourrait me demander. J’espère que tout cela ne se fera pas au détriment de ma tâche en tant qu’archevêque de Rabat. Je suis sûr que le sens des responsabilités et le dévouement du vicaire général, du Conseil Presbytéral et de chacun de vous fera que le diocèse continue à fonctionner comme prévu, en nous améliorant chaque fois davantage.
Unissez-vous à mon action de grâce à Dieu et à mes remerciements au Saint Père, ainsi qu’à la prière que je fais monter pour Lui. Comme nous tous, il a besoin – et beaucoup – de l’aide de Dieu pour s’acquitter de la lourde tâche qui lui a été confiée.
2.-ORIENTATIONS PASTORALES POUR L’ANNEE 2020
Nous venons de finir le « Mois Missionnaire Extraordinaire » (octobre). Peut-être nous a-t-il pris un peu « à froid », sans que nous ayons le temps de réagir et de nous organiser… Bon, je vous propose d’y remédier en prenant toute l’année 2019-2020 pour travailler, inspirés par cette devise qui est en partie celle du Mois Missionnaire :
« BAPTISÉS ET ENVOYÉS, SOYONS SACREMENTS DE LA RENCONTRE »
Si l’année passée nous avions pris comme mot d’ordre la « COMMUNION », cette année ce sera la « MISSION ». Oui, nous sommes, en tant que baptisés, envoyés en mission, et cette mission passe, au Maroc, par le fait d’être « sacrements de la rencontre ».
C’est le Pape François lui-même qui nous disait à la cathédrale :
« Etre chrétien c’est une rencontre. Nous sommes chrétiens parce que nous avons été aimés et rencontrés… »
« En ces terres, le chrétien apprend à être sacrement vivant du dialogue que Dieu veut engager avec chaque homme et chaque femme. »
« Continuez à être un signe vivant de cette fraternité à laquelle le Père nous a appelés. »
Aux « Artisans de la nouvelle évangélisation », le pape François indiquait cette ligne de la culture de la rencontre : « Rencontrer nos contemporains pour leur faire connaître l’amour de Dieu.» (21 septembre 2019)
De quelle rencontre parlons-nous ?
Il ne s’agit pas de n’importe quelle rencontre, mais de la rencontre que Dieu veut engager avec chaque homme et chaque femme, une rencontre d’amour, un pacte, une alliance d’amitié : «Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu. » (Jr 30, 22)
Toute l’histoire du salut est l’histoire d’un Dieu « en sortie » au-delà de Lui-même. Un Dieu qui se révèle. Un Dieu qui se donne, qui entre en communication. Un Dieu qui aime… parce qu’Il est amour.
La rencontre dont nous nous proposons d’être les sacrements est donc cette rencontre entre Dieu et sa création, entre Dieu et l’humanité, entre Dieu et chaque homme et chaque femme.
Vivre la rencontre avec Dieu…
La première des choses que nous devons faire est de vivre cette rencontre avec Dieu, de faire l’expérience personnelle de ce Dieu qui veut nous rencontrer et qui est présent dans nos vies.
Comme disait le « Congrès des écoles de la Nouvelle Évangélisation », (Vatican, 21 septembre 2019), nous devons « allumer le désir de rencontrer Dieu malgré les signes qui en obscurcissent la présence. »
Cela nous le faisons, bien sûr, dans la prière quotidienne, personnelle et communautaire, dans les moments de silence et dans les célébrations…
Mais aussi – et cela est fondamental dans notre foi – nous pouvons et nous devons rencontrer Dieu dans les rencontres quotidiennes avec les personnes que nous côtoyons ou que nous croissons dans la vie ordinaire. En effet, nous devons apprendre à voir dans chaque personne la trace de Dieu, son empreinte, parce que tout homme a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu.
Le silence et la culture de l’intériorité sont un chemin pour parvenir à Dieu ou pour le découvrir au-dedans de nous-mêmes. Mais la charité et l’ouverture à l’autre nous permettent aussi de le rencontrer en le trouvant dans notre prochain.
Il y aurait ici un double chemin, une espèce d’aller-retour qui crée un cercle « vertueux » : en rencontrant Dieu, il nous renvoie vers notre prochain ; en rencontrant notre prochain, nous découvrons Dieu… et on recommence.
…pour en être sacrement
Un sacrement est un « signe efficace ». Être signe efficace veut dire, en ce cas, être un exemple qui attire, qui encourage l’autre à faire de même. Etre sacrement veut dire aussi être un instrument qui aide, qui facilite, qui provoque la rencontre de l’autre avec Dieu. Nous devons être des « catalyseurs » de la rencontre : des « éléments » dont la présence rend possible et provoque la réaction entre deux autres éléments qui, seuls, n’arriveraient pas à se mêler ou à réagir.
Être sacrements de la rencontre veut dire devenir « des signes vivants de l’Amour que nous annonçons » (Pape François, 21septembre 2019, au « Congrès des écoles de la Nouvelle Évangélisation »).
Notre rencontre doit être l’occasion de rendre transparent
… l’Amour de Dieu pour l’humanité,
… le Royaume de Dieu qui est déjà présent et actif parmi nous,
… la révolution de la tendresse : « N’ayez pas peur de participer à la révolution à laquelle [le Christ] vous appelle: la révolution de la tendresse. » (Evangelii gaudium, 88)
Comment agir concrètement ?
1.- Se laisser rencontrer :
Personne ne pourra pardonner sans faire d’abord l’expérience d’être pardonné. Nous n’apprenons à aimer que si nous sommes nous-mêmes aimés. On ne peut pas être compatissant si on n’est pas conscient d’avoir été l’objet de la compassion et de la miséricorde de Dieu. Ce sont des affirmations que le Pape François répète fréquemment d’une façon ou d’une autre. De la même façon, nous ne pourrons pas sortir à la rencontre de l’autre sans, tout d’abord, nous laisser rencontrer… par Dieu lui-même mais aussi par les autres. Faire du silence à côté de l’autre… pour qu’il puisse nous parler. Etre à la disposition et, encore plus, à l’écoute. Prendre du temps pour le dialogue. Nous laisser « toucher » par ce que l’autre nous communique et nous partage. Nous ouvrir pour que l’autre puisse entrer, même dans notre intimité. Laisser tomber les préjugés négatifs et se construire un regard positif sur tout homme… Voici des exigences permettant de se laisser rencontrer.
2.-Contempler le Christ qui rencontre…
Dans la personne de Jésus de Nazareth, Dieu et l’homme se rencontrent. Il est vrai Dieu et vrai homme. Le Christ est le lieu de la rencontre de Dieu et de l’humanité. Ce n’est pas donc étrange qu’Il soit un maître de la rencontre. Ne serait-ce pas un exercice magnifique pendant cette année que de parcourir les évangiles en découvrant et en méditant les différentes rencontres de Jésus ? Je vous en cite seulement quelques-unes : au Temple avec les docteurs de la Loi et déjà dans sa vie publique avec Jean-Baptiste, avec André et Jean ; avec Nicodème et avec Nathanaël ; avec la femme samaritaine et la femme adultère; avec l’aveugle-né et avec les lépreux ; avec les disciples et avec les multitudes ; avec la fille de Jaïre et avec le fils de la veuve de Naïm ; avec Zachée et avec Simon ; avec les disciples d’Emmaüs, etc, etc.
3.-Prendre en compte les appels du Pape François :
À la Cathédrale de Rabat, le Pape nous parlait du dialogue ce qui, dans ce contexte, équivaut à la rencontre. Il nous disait :
« En ces terres, le chrétien apprend à être sacrement vivant du dialogue que Dieu veut engager avec chaque homme et chaque femme…Un dialogue que nous sommes invités à réaliser à la manière de Jésus, doux et humble de cœur (cf. Mt 11, 29), avec un amour fervent et désintéressé, sans calculs et sans limites, dans le respect de la liberté des personnes. Dans cet esprit, nous trouvons des frères aînés qui nous montrent le chemin, parce que, par leur vie, ils ont témoigné que cela est possible, une « mesure haute » qui nous défie et nous stimule. Comment ne pas évoquer la figure de saint François d’Assise qui, en pleine croisade, est allé rencontrer le Sultan al-Malik al-Kamil ? Et comment ne pas mentionner le Bienheureux Charles de Foucauld qui, profondément marqué par la vie humble et cachée de Jésus à Nazareth, qu’il adorait en silence, a voulu être un « frère universel » ? Ou encore ces frères et sœurs chrétiens qui ont choisi d’être solidaires avec un peuple jusqu’au don de leurs propres vies ? Ainsi, quand l’Eglise, fidèle à la mission reçue du Seigneur, entre en dialogue avec le monde et se fait conversation, elle participe à l’avènement de la fraternité, qui a sa source profonde non pas en nous, mais dans la Paternité de Dieu. »
Le Pape nous invite aussi à…
-« rencontrer nos contemporains pour leur faire connaître l’amour de Dieu »,
-« sans prétendre avoir tout de suite des réponses et sans donner de réponses toutes faites…
-…mais en partageant des paroles de vie…
-de façon à laisser agir l’Esprit Saint « qui libère le cœur de l’esclavage qui l’opprime et le renouvelle. »
(Congrès des Écoles de la Nouvelle Évangélisation, 21 septembre 2019)
Pour être « sacrements de la rencontre », il faut sortir à la rencontre de l’autre sans attendre que l’autre vienne à nous et sans nous décourager si la rencontre ne se produit pas la première fois ou si elle ne se déroule comme nous le voudrions.
À quel niveau devons-nous vivre la rencontre et comment la vivre dans le concret ?
La rencontre dont nous voulons être sacrements doit se vivre :
– Entre nous-mêmes, membres de la communauté chrétienne, dans chaque paroisse, chaque groupe, chaque communauté, chaque mouvement, chaque congrégation...
Et ici, permettez-moi de descendre au niveau de l’organisation concrète : vivre la rencontre implique, entre autres choses, d’organiser et de faire fonctionner dans chaque paroisse le « Conseil Pastoral » et le « Conseil pour les Affaires Économiques » ; dans chaque école, le « Comité de Direction » ; dans chaque communauté religieuse, les structures prévues par le droit particulier de la Congrégation ; dans chaque groupe ou mouvement, le bureau en veillant à l’implication de tous…
– Entre toutes les paroisses et congrégations du diocèse :
Pour cela, une structure nous aidera (sans supprimer ni remplacer l’effort de chacun). Ce sera le « Conseil Pastoral Diocésain », qui tiendra sa première rencontre le dimanche 1er décembre, à Rabat.
– Avec toutes les Églises locales et avec l’Église universelle :
La communion entre les Églises du Maroc et de l’Afrique du Nord (Conférence Épiscopale de la Région Nord-Afrique), ainsi qu’avec le Pape et les organismes au service des Églises locales nous aidera. Cela passe également par l’intérêt porté à la vie de l’Église universelle, à travers la lecture et le recours aux ressources digitales à notre disposition.
– Avec nos frères et soeurs chrétiens non catholiques :
Nous faisons déjà beaucoup à ce niveau dans les différents lieux de notre présence. Il faut persévérer et approfondir notre relation. Comment ne pas vous encourager à bien profiter de notre Institut Oecuménique de Théologie « Al Mowafaqa » ?
– Avec nos frères et soeurs musulmans :
Après la visite du Pape François, et avec le discours de Sa Majesté à la Tour Hassan, le dialogue islamo-chrétien doit monter d’un cran : passer de la tolérance et de la coexistence à la connaissance mutuelle, au respect d’autrui et à la confiance réciproque pour construire ensemble la paix et la fraternité universelles.
Ce dialogue et cette rencontre nous concernent tous et doivent se concrétiser dans la vie quotidienne.
– Avec toute l’humanité :
« Ma maison est le monde ; ma famille, l’humanité. » C’est un slogan que je me plais à répéter, parce qu’il m’a beaucoup inspiré et aidé dans ma vie.
Le chrétien, en étant citoyen du ciel, devient citoyen du monde, de tout le monde. Il est capable d’ouvrir son coeur pour que tous puissent y entrer, d’habiter n’importe dans quel pays et d’entamer des relations sans exclure personne.
François d’Assise et Charles de Foucauld n’ont-ils pas voulu devenir des « frères universels » ? Chrétiens, nous sommes « inclusifs » à cent pour cent : rien ni personne ne doit rester en dehors de notre intérêt et de nos préoccupations.
Plus concrètement encore, que devons-nous et que pouvons-nous faire ?
– Etudiants, allez à la rencontre de vos copains, qu’ils soient musulmans, protestants ou athées !
– Entrepreneurs, cadres d’entreprises et employés, sortez à la rencontre de vos collègues de travail, de vos chefs ou de votre personnel !
– Diplomates, rencontrez les personnes par-delà la bureaucratie ou les rôles que vous devez jouer ! Vous êtes très bien placés pour apprécier l’altérité, puisque vous vivez tout le temps en contact avec des personnes d’autres cultures.
– Prêtres, religieux, religieuses, assistants pastoraux… Allons à la rencontre des imams des mosquées qui sont sur notre territoire, des confréries et des « zaouias », des associations en tout genre !
– Familles, établissez de bonnes relations avec vos voisins, quelle que soit leur religion ou leur croyance !
A partir de quels matériaux pouvons-nous réfléchir ?
La première des choses peut consister à lire et commenter cette lettre et ses annexes (avec les textes de la CERNA et d’Eloi Leclerc). Mais, plus directement, nous avons trois outils à notre disposition :
– Le livret réalisé suite à la « Visite Apostolique » du Pape François, avec notamment le message qu’il nous a laissé à la Cathédrale et le discours à la Tour Hassan ainsi que le document signé à Abou Dhabi sur « La fraternité universelle. »
– Les fiches que nous avions distribuées pour la préparation de la visite du Pape.
– Le lettre pastorale de la CERNA« Serviteurs de l’espérance ».
Une icône : la Visitation
Marie sort de Nazareth pour aller à la montagne aider sa cousine… Elle lui porte le Christ, sans lui faire de publicité (le Christ, avec l’Esprit Saint, se chargent de faire le nécessaire). Cette scène peut être l’icône de notre engagement ecclésial pour cette année.
Nous aussi, comme Marie et avec Elle, soyons une Église en sortie, des chrétiens en sortie qui vont à la rencontre de l’autre (particulièrement de ceux qui sont en détresse), pour les aider gratuitement (sans attendre de « résultats », ni de récompenses, ni de gratifications et sans exiger la réciprocité).
Portons en nous le Christ comme Marie et saint Paul (« Je vis, mais ce n’est pas moi, c’est le Christ qui vit en moi » Ga 2, 20). Soyons « Cristóbal-Christophe-Cristoforo », c’est-à-dire « porteurs du Christ », Lui fera le reste. Le père Albert Peyriguère ne cessait de répéter, à la suite de saint Augustin, le grand Berbère : « Le Christ n’est pas en dehors de vous. Il est en vous. Il est plus vous que vous-mêmes. C’est lui qui travaille en vous, c’est lui qui va aux âmes par vous. » (Chemins du dialogue, N°36, p. 86)
(Lisez en ce sens en annexe la magnifique réflexion de la CERNA sur la Visitation)
La rencontre nous aide à grandir dans la foi
Pour le pape François en effet, « ce qui est rencontre aide à grandir dans la foi. »
Dans la rencontre avec l’autre, nous nous enrichissons aussi. Ce sont deux dimensions qui se complètent : nous donnons et nous recevons, nous accueillons et nous sommes accueillis… à condition que nous approchions l’autre avec gratuité, que nous soyons attentifs aux demandes et aux besoins des autres, que nous essayions toujours de découvrir comment accueillir ceux qui frappent à notre porte et ceux que la vie met à nos côtés.
La rencontre de frère François avec le Sultan les a transformés tous les deux. La rencontre de Charles de Foucauld avec les musulmans a révolutionné sa vie, l’a converti.
« Que Dieu vous accorde d’être les uns pour les autres porteurs de sa miséricorde, de sa tendresse et de son amour » (Pape François, le 28 septembre 2019, au Centre Social Père David du Portugal).
Avec ces mots du Pape François, je vous laisse le temps de lire, de méditer et de commenter cette lettre et je me reccomande à vos prières.
Avec mes vœux et ma bénédiction.
ANNEXES
« As-tu déjà réfléchi à ce que c’est qu’évangéliser un homme ? Evangéliser un homme, vois-tu, c’est lui dire : Toi aussi, tu es aimé de Dieu dans le Seigneur Jésus. Et pas seulement le lui dire, mais le penser réellement. Et pas seulement le penser, mais se comporter avec cet homme de telle manière qu’il sente et découvre qu’il y a en lui quelque chose de plus grand et de plus noble que ce qu’il pensait, et qu’il s’éveille ainsi à une nouvelle conscience de soi. C’est cela, lui annoncer la Bonne Nouvelle. Tu ne peux le faire qu’en lui offrant ton amitié. Une amitié réelle, sans condescendance, faite de confiance et d’estime profonde.
Il nous faut aller vers les hommes. La tâche est délicate. Le monde des hommes est un immense champ de lutte pour la richesse et la puissance. Et trop de souffrances et d’atrocités leur cachent le visage de Dieu. Il ne faut surtout pas qu’en allant vers eux nous leur apparaissions comme une nouvelle espèce de compétiteurs. Nous devons être au milieu d’eux des témoins pacifiés du Tout-Puissant, des hommes sans convoitise et sans mépris, capable de devenir réellement leurs amis. C’est notre amitié qu’ils attendent, une amitié qui leur fasse sentir qu’ils sont aimés de Dieu et sauvés en Jésus Christ. »
Eloi Leclerc, Sagesse d’un pauvre, Paris, 2011, Desclée de Brouwer
En l’an 2000, au seuil du grand Jubilé de l’Incarnation, nous nous étions posé une question : le nouveau visage que présentaient alors nos Églises était-il seulement dû aux événements ?
Avait-il un enracinement biblique qui le faisait porteur d’avenir ? Notre réflexion nous avait conduits à discerner deux situations éclairant plus particulièrement notre vécu : la période galiléenne de Jésus et la dispersion des communautés dans la primitive Église.
La prière, les événements, nous ont conduits à approfondir aussi ces dernières années la dimension mariale de notre vocation, qui rejoint les « faisceaux de lumière » que nous avons développés, et qui précise l’enracinement spirituel profond de notre mission.
« Nous aimons lire dans le récit de la Visitation (Lc 1,39-56) le paradigme de la mission. Loin
de toute conquête, la mission est une Visitation. Comme Marie, portant Celui qui nous porte, nous allons visiter nos frères et soeurs pour les aider et chaque rencontre est comme une effusion d’Esprit Saint, une Pentecôte. Comme dans le récit de la Visitation, l’Esprit est le maître d’oeuvre de la rencontre, ouvrant à l’action de grâce pour les fruits reçus, des fruits toujours surprenants ». Marie porte la Grande Espérance.
L’Esprit entraîne Marie et l’Église dans sa hâte. Par son travail à l’intérieur des coeurs, il dispose à l’accueil et ouvre à la fécondité du Ciel. L’histoire de nos Églises est l’histoire de ces rencontres d’humanité. La grâce « d’aller vers » nous fait expérimenter une joie semblable à celle jaillie lors de la rencontre entre Élisabeth et Marie. Les trésors que portent l’une et l’autre tressaillent au-dedans d’elles mêmes: « Élisabeth poussa un grand cri » (Lc 1,42), et Marie dit alors « Mon âme exalte le Seigneur, et mon esprit exulte en Dieu mon Sauveur » (Lc 1,46-47).
Nos Églises, à la suite de Marie, vivent l’apostolat de la rencontre. Conduits par l’Esprit, nous connaissons la joie lorsque nos cœurs s’ouvrent au mystère de l’autre. Élisabeth a libéré le Magnificat de Marie.
Ainsi nous-mêmes, quand, nous situant à ce niveau de vérité, dans une attention à rejoindre l’autre et à l’accueillir en ce qu’il est, nous sommes rejoints dans ce que nous portons, expérimentant alors une communion véritablement spirituelle. L’Esprit conduit ainsi nos Églises sur un réel chemin de vérité. Notre joie est et sera toujours que nos frères en humanité existent, que leur vie grandisse, s’accomplisse non pas selon nos attentes, mais selon l’œuvre de l’Esprit en eux. L’espérance qui nous habite nous entraîne en hâte au service de la vie à naître en toute personne.
Marie nous apprend à passer de l’efficacité à la fécondité. Avec l’Esprit, elle nous fait entrer
dans la grâce du service gratuit où la relation est pur respect, don sans arrière-pensée, soulagement de toute souffrance, joie de toute joie, tristesse de tout mal. Avec Marie, nos Églises désirent vivre le « fiat » qui seul permet l’accueil, avec respect, du chemin de l’autre, de sa lumière, de son espérance. La conscience de chacun est un mystère sacré, duquel on ne peut s’approcher qu’en enlevant ses sandales. La Vierge Marie nous précède etnous entraîne sur le chemin. S’efforçant, àson exemple, de « méditer dans leur cœur tous les événements » (cf. Lc 2,19) qui marquent l’histoire des peuples vers lesquels elles sont envoyées, nos Églises sont animées d’un élan profondément marial : en chemin d’incarnation, appelées chaque jour à accompagner la marche de Dieu vers les peuples du monde, à expérimenter, au coeur d’un quotidien humblement partagé, une croissance en humanité dont l’étape ultime est la rencontre avec Dieu.
Lettre pastorale de la CERNA, « Serviteurs de l’Espérance», 2014)