Pascal PEYRAT : L’éducation en tant que levier pour une civilisation de l’amour dans le bassin méditerranéen.

Bonjour à tous,

Nous poursuivons notre série d’interviews avec les représentants du Maroc aux Rencontres Méditerranéennes. Aujourd’hui, nous avons le privilège de discuter avec Pascal Peyrat, qui occupe la fonction de responsable au sein de l’ECAM. M. Peyrat apportera un éclairage précieux sur les enjeux et les défis de l’éducation dans le contexte méditerranéen, en mettant l’accent sur le dialogue interreligieux.

Avant de commencer, pourriez-vous prendre un moment pour vous présenter brièvement en tant que responsable des écoles catholiques et nous donner un aperçu de votre parcours professionnel dans le domaine de l’éducation catholique ?

Je suis à l’ECAM depuis mars 2019. Je suis venu ici à la demande du SG, père Marc, qui cherchait un volontaire pour prendre en charge et rationaliser l’administration des établissements. J’ai ensuite occupé la fonction de Directeur Exécutif puis de Directeur Général, lorsque nous avons décidé de créer une structure juridique pour gérer les écoles.

Avant de venir au Maroc, je travaillais dans la formation continue et l’accompagnement de la transformation des entreprises. Globalement j’ai une expérience de plus de 30 ans dans le management général.

L’ECAM regroupe 12 écoles de la primaire au collège, deux centres de formation professionnelle à Kénitra, et compte 10 500 élèves et plus de 750 salariés. Nos programmes sont ceux du Ministère de l’Enseignement Marocain, 99% de nos élèves et de nos enseignants sont marocains et musulmans. L’histoire commune de l’Enseignement Catholique et du Maroc a plus d’un siècle.

Vous êtes donc présent en tant que responsable des écoles catholiques. Pourriez-vous nous expliquer comment vous avez été impliqué dans ces Rencontres Méditerranéennes ?

Le Maroc fait partie de l’OIEC, au sein de la région MENA. C’est à ce double titre que j’ai été invité à participer à ces Rencontres Méditerranéennes.

Si vous le permettez, j’aimerais en savoir un peu plus sur votre décision de participer activement à ces rencontres. Avez-vous décidé par vous-même ? Si on vous a sollicité, pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous avez accepté cette invitation ?

La réponse se trouve dans la problématique posée : nous retrouver entre Responsables de l’Enseignement Catholique du pourtour de la Méditerranée, pour échanger sur les enjeux de l’éducation, sur les défis éducatifs actuels, et sur leurs impacts sur l’école.

Bien qu’également bordé par l’Océan Atlantique, les rives nord du Maroc le font se confronter aux mêmes problèmes et aux mêmes enjeux que les autres pays du pourtour méditerranéen. Cette communauté d’enjeux nous pousse naturellement à réfléchir ensemble aux solutions à apporter dans le cadre de notre mission éducative.

Quel est votre point de vue sur l’importance d’une telle rencontre dans le contexte méditerranéen, en particulier dans le domaine de l’éducation ?

Je propose de vous partager une partie de la synthèse de notre réflexion, présentée par Jacques Le Loup, Directeur Diocésain de Marseille, lors de la cérémonie du Pharo : « Dans l’esprit de la réflexion actuelle de la Congrégation pour l’éducation chrétienne qui affirme que l’éducation à la relation est le paradigme fondamental de l’éducation, nous avons conscience que la question n’est plus seulement celle de la transmission comme ce fut le cas en des périodes de plus grande stabilité mais de la transformation des sociétés en général et plus particulièrement de notre espace géopolitique méditerranéen en vue d’une civilisation de l’amour. Nous croyons que l’éducation en est un levier privilégié. Le défi qui se présente à nous n’est rien moins que d’inventer et d’éduquer à un ordre nouveau de relations plus peut-être qu’en beaucoup d’autres lieux, à cause même de ce que représente ce bassin et de ce que fut son histoire. Nous croyons que le paradigme fondamental de l’éducation est de former des enfants et des jeunes aptes au dialogue et que pour cela il nous faut inventer une nouvelle pédagogie, une pédagogie du dialogue, dialogue entre les personnes, entre les cultures, entre les religions de ces rives méditerranéennes.

Comment percevez-vous les défis et les opportunités liés au dialogue interreligieux dans le cadre de l’éducation catholique dans la région méditerranéenne ?

Les défis sont multiples : sociaux, culturels, religieux, climatiques, sociétaux. Pour envisager de relever certains d’entre eux, il faut inventer un nouveau dialogue, forcément interreligieux. Au risque de vous choquer je suis convaincu que c’est en sortant du cadre religieux pour les faire se retrouver sur des problématiques communes, que nous permettrons le dialogue entre les jeunes de différentes confessions religieuses, pour mieux y revenir ensuite, lorsqu’il s’agira d’élaborer ensemble des solutions, autour de nos valeurs communes.

Le Projet Educatif de l’ECAM, élaboré il y a plus de 20 ans par des enseignants musulmans et des prêtres catholiques, est toujours le paradigme sur lequel nous construisons la pédagogie de nos établissements, parce qu’il transcende les religions pour faire se retrouver la communauté éducative autour de valeurs communes. Nous ne parlons pas vraiment de dialogue interreligieux dans nos établissements, parce que nous le vivons quotidiennement.

Pouvez-vous partager votre vision sur la contribution des écoles catholiques à la promotion du dialogue interreligieux et de la compréhension mutuelle entre les jeunes de différentes confessions religieuses ?

Ma vision se retrouve dans la synthèse du travail des 27 responsables de l’enseignement catholique, venus de France, du Liban, de Turquie, d’Italie, d’Espagne et du Maroc. Il est dit que l’école doit favoriser le dialogue, en initiant un dialogue commun, en éduquant au discernement et à l’écoute vraie, en développant la formation des éducateurs et des élèves, en partageant les expériences de rencontres en jeunes et responsables, et en vivant des temps de convivialité. Nous devons éduquer à une « commune humanité ».

Avant de poursuivre, pourriez-vous décrire l’ambiance et l’accueil que vous avez ressentis depuis votre arrivée aux rencontres ?

Comme souvent lors de ce type d’évènements, il y a une sorte d’étrange bulle de bienveillance et rassérénante qui s’installe, un peu comme lorsque l’on se retrouve sur le chemin de Compostelle. C’est difficile à décrire mais c’est palpable.

Concernant spécifiquement le groupe des responsables de l’éducation, je dirais qu’il y avait une identité, une communauté de gens. Certains se connaissaient, d’autres pas. Chacun a pu s’exprimer, échanger, visiter Marseille, et partager des moments de convivialité. Tout a été facilités par l’excellente organisation de Jacques Leloup et de son équipe.

Quels sont les moments ou les activités qui, du point de vue d’un responsable des écoles catholiques, ont particulièrement marqué ces rencontres jusqu’à présent ?

Le partage d’expériences, comme toujours. La visite d’un établissement dans le quartier du Panier et la présentation par des collégiens furent un moment fort. Il s’agit d’un établissement où se côtoient différentes religions et plus de 20 nationalités, mais où j’ai retrouvé les mêmes sourires d’enfants, et cette liberté d’être qui fait, je le crois profondément, la force de l’enseignement catholique.

Comment envisagez-vous d’incorporer les enseignements et les expériences de ces rencontres dans le cadre de l’éducation catholique que vous supervisez ?

A la demande du père Cristobal, archevêque de Rabat et Président de l’ECAM, et sous l’impulsion de père Alexandre, Délégué Diocésain à l’Enseignement, nous avons engagé, dès l’année dernière, une nouvelle réflexion autour du dialogue et de l’éducation. Cette réflexion implique tous les personnels des écoles ; elle doit nous permettre de nous questionner sur nous-mêmes, notre rôle d’éducateur, notre capacité d’empathie et de courage, notre capacité au dialogue, et la façon dont nous incarnons les valeurs de notre Projet Educatif.

Dès aujourd’hui, je vais transmettre aux directeurs, la synthèse de nos réflexions, afin que ces pistes s’ajoutent aux nôtres, ou qu’elles soient à minima un écho encourageant. Ensuite, nos réflexions devront se retrouver dans les projets d’établissements et dans les comportements de chacun.

Vous avez également remarqué la présence de jeunes musulmans lors de ces rencontres. Pourriez-vous développer votre point de vue sur l’importance de la participation de musulmans à une rencontre organisée par l’église ?

L’Eglise au Maroc, et certaines communautés religieuses, accueillent dans leurs établissements, 99 % de jeunes marocains musulmans. La présence de jeunes musulmans à une rencontre organisée par l’église est frappée au coin du bon sens puisque nous parlons de dialogue interreligieux. C’est la connaissance mutuelle, la capacité à accepter l’autre et ses éventuelles différences qui feront avancer les choses. L’Homme est arrivé très vite, trop sans doute, au sommet de la chaine alimentaire, sans autre prédateur que lui-même. Compte tenu des conflits, du dérèglement climatique, de la pauvreté, des problèmes migratoires qui y trouvent souvent leur origine, peut-être serait-il temps d’éduquer au dialogue, en commençant par nous rencontrer.

 

Enfin, de manière plus personnelle, quelles sont vos aspirations après votre participation à ces rencontres méditerranéennes ?

Poursuivre le principe de ces rencontres où se côtoient différentes nationalités, et poursuivre les échanges au sein de l’ECAM. Echanger, avancer, échouer, recommencer. Et toujours continuer parce qu’il n’y a pas d’alternative vertueuse au dialogue.

Merci infiniment pour votre expertise et votre partage.
Paix et joie !