
Agadir. Avec sa longue chevelure blanche, presque une noblesse d’autre époque, avec sa canne et son pas incertain il m’accompagne, le matin tôt à mon départ, jusqu’au portail de l’église. Avec trépidation. Car le cimetière, désormais, l’attend… Père Gilbert, en fait, toutes les années en ce même jour va au cimetière prier pour les victimes d’un crash d’avion sur la montagne d’Agadir, resté encore un mystère. Avant, il avertit toujours les familles, pour lesquelles le 21 août 1994 reste un tragique cauchemar de 44 passagers: leur existence – par un probable geste suicidaire du pilote – était pulvérisée contre les rochers.
Depuis, pour lui missionnaire SMA, hollandais, 34 ans à Agadir, cette ville lui parle de vie et de mort. Dans une localité touristique aux plages de sable doré et d’une superbe procession d’hôtels de luxe, la joie de vivre se mélange à la fragilité de l’existence et à son terme imprévu. Mort et vie ensemble, ce que l’on vient justement de célébrer hier, dimanche, comme dans chaque eucharistie. Mystère pascal. Une grande chapelle, parmi les arbres, décorée aux drapeaux de couleurs internationales ici vous accueille. Etudiants subsahariens, européens là depuis des années et touristes de toute part trouvent ici leur havre de paix. Un lieu de prière qui rassemble tous, fraternellement. Même sur des banquettes aux dehors dans la verdure, lieu privilégié pour les derniers. Comme hier pour un groupe de polonais, qui ont recité avec fierté le « notre Père » à la messe, po Polsku (en polonais) devant toute l’assemblée.
« Ici c’est un nid d’italiens! » s’exclamait, par contre, samedi soir, après la messe, Franca, un ancien médecin, d’origine italienne. Elle s’arrête après la célébration avec deux, trois femmes comme Monique, italiennes d’origine, pour échanger amicalement. Née au Maroc, études de médecine à Montpellier et puis de nouveau au Maroc pour travailler comme médecin de la Santé Publique au bled. Mais alors, sa maman en bonne expression piémontaise teintée d’une légère amertume : » Beleci, a lé ndoua Nousgnur a la perdu le scarpe! » (Elle est allée là où notre Seigneur a perdu les chaussures!). Oui, destinée au fin fond du monde. Maintenant, à la retraite, elle accompagne père Gilbert et son âge par ses conseils médicaux, toujours appréciés.
A midi, restant à table un peu plus longtemps, dans le jardin sous une humble véranda, Gilbert vous ouvrira son cœur… Il racontera les petits ou grands miracles accomplis sans s’apercevoir, dans sa longue permanence marocaine. Oui, ils lui échappaient des mains tout naturellement, par son approche délicate, sensible, préventive à l’autre. Au pauvre, aux migrants, aux étudiants, aux associations, aux marocains. A tout venant en tout moment. Le portail de l’église était toujours grand ouvert, semblant dire : « Entrez, vous êtes chez vous! » En l’écoutant, il semble d’entendre Khalil Gibran: « Un jour tu me demanderas ce qui est le plus important, ta vie ou la mienne; je te répondrai la mienne et tu t’en iras, sans même savoir que c’est toi ma vie. »
Dans son conte il vous parlera de grands personnages, connus sur la scène de la vie diocésaine, des longues existences passionnées en terre d’Islam: Marc Beaurepaire, Michel Rondot, Joseph Lépine, Jo Mula, Jacques Levrat, Georges Couturier… « C’était le temps des mammouth » ajoute-t-il nostalgique, en souriant. Désormais on y reste quelques années, au Maroc. D’autre part, c’est vrai, « une vie sans souvenirs est comme une bibliothèque sans livres. »
Enfin, en vous laissant, ce grand homme de 84 ans lancera vers vous, énigmatique, un petit bout de sa sagesse hollandaise: « On ne maîtrise pas sa vie, c’est la vie qui nous aide à la maîtriser! » Dévoilant, ainsi, sa surprenante sérénité. Dans le monde d’Agadir.
Renato Zilio
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Interview réalisé par le p. Yves Grosjean