A LA DECOUVERTE DE SALÉ

Sans s’apercevoir, on revenait des siècles et des siècles en arrière… Notre guide Mohammed, en fait, tournait devant nos yeux les pages de l’histoire avec un enthousiasme inédit. Ainsi, à Salé on appréhendait avec lui la vie ancienne de la Medina, entre mosquée, souk et habitation. Oui, un monde clos, tissé de relations quotidiennes, de prière et d’interminables salutations. Une vie à mesure d’ homme et, évidemment, de la grandeur de Dieu. Avec Fès c’était ici, à Salé, la deuxième, intéressante « sortie d’études » de l’Institut Almowafaqa pour le groupe du cours d’ islamologie 2023. Un groupe d’une vingtaine de personnes en tout, mais des plus diverses provenances d’Afrique ou d’Europe comme France et Suisse.

La Médina de Salé est un lieu qui garde jalousement certains éléments de la culture et des coutumes musulmanes face à la modernisation. A l’entrée, une énorme porte maritime, Bab el-Mrissa du XIII siècle, récemment restaurée, très belle, permet d’avoir une bonne vue panoramique de la ville. C’est à travers elle qu’on peut déjà entrevoir la cohésion, l’unité et la connaissance mutuelle qui font vivre cette communauté. 

Depuis des siècles elle la protège comme un trésor. Nous restons admiratifs, avant tout devant la mosquée : lieu sacré, très respecté, en y entrant les pieds nus. Comme Moïse, un jour, devant Dieu. Mais avant tout on devra faire des ablutions pour les cinq sens, afin de purifier tous les endroits éventuels du péché, comme l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher et la vue. A côté, une merveilleuse madrassa (école coranique), où tout enfant musulman, depuis toujours, apprend les vertus musulmanes. « Le travail de l’enfant c’est de créer l’homme qu’il sera » souligne Montessori. Il se forme, ainsi, à la vie de prière, au jeûne pendant le ramadan, à l’espoir de faire un pèlerinage à la Mecque pendant sa vie, et à l’offrande de solidarité. L’émotion me prend en contemplant les minutieuses, infinies décorations aux parois, tracées et enjolivées à la main par les étudiants mêmes. Un travail énorme. Il suffisait de rater un petit décor pour tout reprendre à nouveau… Les petites chambres où dormaient les grands étudiants étonnent par leur modestie : aucune table, aucun lit. Certainement un signe du sérieux et de l’austérité de la formation pour ceux qui seraient devenus des futurs cadres du Royaume. « L’ éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde » écrivait Mandela. A Salé, vous remarquerez, aussi, dans la Médina l’uniformité des maisons, des fenêtres et du modèle de construction. Peut-être, une manière pour les habitants de ne pas se comparer, ne pas avoir des complexes ou de créer des rivalités inutiles. L’enjeu de la vie communautaire c’est ici de vivre dans la paix et l’entente.

C’est ce qu’on retrouve aussi dans l’activité commerciale: il n’y a pas de taxes à payer. Les marchands pouvaient s’installer dans les ruelles avec leurs articles et vendre à volonté sans être inquiétés. En sachant que le jour après, « qui va à la chasse perd sa place », comme dit le proverbe, ici vécu comme un exemple de flexibilité, de tolérance et d’harmonie !

Enfin, nous sommes allés face à l’océan pour visiter le cimetière et les longues murailles. « La mort est un vêtement que tout le monde portera » dit-on proverbialement. Ainsi, le corps du défunt est enveloppé dans un simple linge et directement enterré dans une place légèrement creusée, de même pas un mètre, la face regardant la Mecque. On garde pour toujours la direction que l’on a, vivant, dans la prière: le regard vers la terre de naissance du Prophète.  L’ancien cimetière deviendra dans l’avenir un espace vert – nous informe-t-on – bien entretenu par respect pour les morts, au lieu d’étendre la ville jusqu’ici, avec des nouvelles constructions. Car le souvenir, comme une présence invisible, « est le parfum de l’âme » ajouterait George Sand.

En fait, la session d’islamologie que l’Institut Al Mowafaqa organise en été s’est révélée pour moi un temps d’apprentissage, de découverte et de rencontre avec d’autres personnes et des mentalités différentes.  Une grande richesse, au fond, que ce stage offre aux débutants désireux d’apprendre, d’entrer dans la culture arabe et dans la foi de l’Islam.

Ainsi, je relie volontiers, – quelque part désormais me concernant, – un célèbre théologien andalous du XII siècle

« Mon cœur est devenu capable d’accueillir toute forme: il est prairie pour les gazelles, abbaye pour les moines, temple pour les idoles, Mecque pour les pèlerins, tables de la Torah et livre du Coran… Mais la religion que je professe est celle de l’amour ».

P. Modeste TEBUKA, p.b.