Pasteur Jean Koulagna Directeur en fin de mission à l’Institut œcuménique Al Mowafaqa, nous livre ses impressions.
Le directeur sortant, Jean Koulagna, partage son ressenti à l’issue de son mandat à la tête de l’Institut Œcuménique Al Mowafaqa. Il revient sur son expérience professionnelle enrichissante et exprime sa profonde gratitude envers les Églises protestante et catholique du Maroc pour leur soutien tout au long de son parcours.
- Jean Koulagna est un pasteur de l’Église Évangélique Luthérienne du Cameroun et professeur d’Ancien Testament et de philologie biblique, mais aussi d’histoire du fait religieux en Afrique, depuis environ 25 ans.
Voudrez-vous nous donner un aperçu de votre rôle en tant que directeur de l’Institut œcuménique, Al Mowafaqa à Rabat au Maroc au cours ces années ?
J’ai passé six ans comme directeur de l’Institut œcuménique de théologie Al Mowafaqa. Mon rôle a consisté essentiellement à coordonner les activités d’enseignement et d’animation culturelle et toutes les activités associées, à rechercher et contacter les enseignants pour les différents cours, à initier certaines activités telles que les colloques et journées d’étude, mais aussi à rechercher et entretenir les partenariats financiers (le directeur fait l’essentiel du fundraising de l’Institut), académiques et institutionnels, en collaboration avec l’un ou l’autre membre de l’équipe en fonction de son champ d’intervention (notamment la responsable de l’animation scientifique et le directeur des études).
Partant de votre expérience professionnelle,
- Quels ont été les défis majeurs que vous avez rencontrés en tant que directeur de l’Institut œcuménique, Al Mowafaqa ?
Les défis, il y en a sur plusieurs plans, entre autres :
- La recherche d’étudiants et de financement (à la fois pour le fonctionnement et pour certaines bourses). Comme le dit souvent le Père Cristóbal, l’Institut peut fermer à tout moment, soit faute d’argent, soit faute d’étudiants. Chercher des donateurs et conserver ceux qui sont déjà là représente un défi majeur.
- La mise en place du master dont la première promotion a terminé en octobre dernier.
- L’organisation de la vie de l’équipe avec les sensibilités et les caractères différents qui, par moments, peuvent être des causes de malentendus, de frustrations et de tensions.
- La gestion des relations avec l’extérieur, notamment avec l’administration, dans un environnement socioreligieux complexe. Le statut de l’Institut, qui pour le moment n’a pas de reconnaissance légale, freine un peu l’élan de l’Institut, qui salue cependant l’accompagnement bienveillant des autorités et la grande ouverture de certaines institutions marocaines.
- Quelles réalisations êtes-vous le plus fier d’avoir accomplies au cours de votre mandat ?
Je ne sais pas si je peux parler de réalisation. À mon arrivée, j’ai trouvé un chantier qui avait déjà très bien démarré avec mon prédécesseur, le pasteur et anthropologue Bernard Coyault que je salue ici au passage. Je me suis donc contenté de consolider ce qu’il a commencé avec tous les partenaires et la gouvernance de l’Institut.
S’il y a du nouveau, c’est sans doute la mise en place et le lancement de la première promotion du master « Religions, société et dynamiques transnationales ». Mais là aussi, l’idée avait déjà été semée avant mon arrivée. Je suis heureux d’avoir aussi pu élargir les relations avec des institutions marocaines et internationales, aussi bien pour le long terme que pour des projets spécifiques ou ponctuels, par exemple l’Institut Dar al Hadith al Hassania, l’Université Mohammed Premier d’Oujda, l’IRD, le Centre Jacques Berque, entre autres.
Je pourrais enfin mentionner l’organisation de deux colloques interdisciplinaires et internationaux, en novembre 2019 et mars 2023. Ce dernier, qui s’est déroulé dans le contexte de la célébration du 10e anniversaire de notre Institut, me laissera un souvenir inoubliable, en particulier en raison de la présence de SE Monsieur le Ministre des Habous qui a donné son nom à notre Institut, mais aussi du prolongement de cet événement à Rome en octobre 2023.
- Comment avez-vous géré les relations avec les différentes communautés religieuses présentes à Rabat ?
Je n’ai rien géré en fait, sur ce plan. Cependant, j’ai vécu, à titre personnel, une formidable expérience d’œcuménisme aussi bien avec l’Église catholique qu’avec les églises charismatiques qui s’expriment dans ce que l’on appelle ici les églises de maison. Comme on l’a vu dans le colloque des dix ans d’Al Mowafaqa, le fait d’être minoritaires a favorisé cette expérience inédite.
Sur le plan interreligieux, la collaboration avec l’Institut Dar al Hadith al Hassania a favorisé des échanges fructueux, avec des moments de partage du ftour, de même que les visites annuelles des étudiants du certificat à l’Université Al Akhawayn d’Ifrane qui offrent des moments rares à des chrétiens d’assister à la prière dans une mosquée. Au niveau personnel, le fait que j’aie été sollicité par le Forum d’Abu-Dhabi pour la paix pour produire un volumineux article (qui est en voie de publication en arabe) dans le volume 4 d’une encyclopédie illustre l’image que notre Institut et les Églises renvoient à cette société islamique dans laquelle se déploie notre témoignage.
Relations Interreligieuses
- Comment votre institut a-t-il favorisé le dialogue interreligieux à Rabat ?
Voir le deuxième paragraphe du point précédent.
- Quels sont les moments les plus mémorables où vous avez vu les communautés religieuses travailler ensemble de manière significative ?
Ces moments sont nombreux et il serait impossible d’en dresser une liste exhaustive. Je me contenterai d’en mentionner deux, à savoir les célébrations œcuméniques à Al Mowafaqa lors de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, et la grande mobilisation des communautés chrétiennes, y compris les Églises de maison, lors de la visite du Pape François les 30 et 31 mars 2019.
Impacts et Héritage
- Quel héritage espérez-vous laisser derrière vous après votre départ de l’Institut Œcuménique, Al Mowafaqa ?
Ce serait trop prétentieux de ma part de parler d’héritage. S’il y en a un, c’est bien l’ensemble de l’Institut et ses défis, mais aussi ses joies, ses acteurs, ses partenaires. J’ai trouvé un institut tout jeune, je le laisse au moment où il est devenu un adolescent. Mon successeur et ses successeurs à lui en feront un adulte, j’en suis convaincu.
Défis et Opportunités
- Quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels l’Institut œcuménique continuera de faire face après votre départ ?
Les défis seront sans doute les mêmes que ceux évoqués au début de cette interview : financement, étudiants, statut juridique, etc.
- Quelles opportunités voyez-vous pour l’Institut dans les années à venir ?
Je ne sais pas ce que vous entendez par « opportunités », mais j’ai envie de dire que chaque acteur d’Al Mowafaqa, chacun en ce qui le concerne, est une opportunité. Les opportunités, ce sont donc d’abord les personnes qui œuvrent de près ou de loin, quotidiennement, périodiquement ou ponctuellement, individuellement ou institutionnellement, au projet de cet institut.
Conseils et Réflexions
- Quelles leçons avez-vous apprises au cours de votre mandat en tant que directeur de l’institut œcuménique ?
Il y en a certainement plusieurs. Mais la principale, je pense, est celle de l’humilité : savoir que l’on est tout petit et que c’est finalement le Christ lui-même qui porte son projet. À cette humilité s’ajoute la leçon de la disponibilité. Les deux sont liées. Être disponibles dans notre petitesse et laisser que Dieu lui-même nous utilise pour semer la petite graine de l’Évangile comme une graine de moutarde, que lui-même fera germer, grandir et fructifier, et rendre grâce à Dieu d’avoir eu l’immense honneur d’être un serviteur inutile.
- Y a-t-il autre chose que vous aimeriez partager sur votre expérience en tant que directeur de l’Institut œcuménique, Al Mowafaqa ?
Ma prière accompagne mon successeur, Jean Patrick Nkolo Fanga, ainsi que toute l’équipe qui continuera à travailler avec lui.
Ma gratitude va à l’endroit des responsables de l’Église au Maroc, tant catholiques que protestants, ainsi qu’au Conseil d’administration. Il y a six ans, ils ont eu confiance en un homme qu’ils connaissaient à peine ou qu’ils n’avaient encore jamais vu. Aujourd’hui, ils peuvent émettre une évaluation.